“Gentleman Jack”, série lumineuse sur une lesbienne “moderne”

28 septembre 2020

Alors que les cas de discrimination, de harcèlement et de violence envers les femmes homosexuelles sont loin de diminuer, RTS Un propose Gentleman Jack, une série de HBO sur la vie d’Anne Lister, première lesbienne “moderne”.

Ecouter la chronique (7’51”)

Suranne Jones (Anne Lister / Gentleman Jack) [HBO / RTS]

Si l’homosexualité est bien au cœur du récit de Gentleman Jack, Sally Wainwright, créatrice, scénariste et réalisatrice – à qui l’on doit déjà l’excellente série policière Happy Valley, construite elle aussi autour de personnages féminins – nous raconte d’abord une magnifique histoire d’amour et un combat féministe exaltant.

Ceux d’une femme qui a réellement existé en Angleterre pendant la première moitié du XIXe siècle: Anne Lister, superbement interprétée par l’actrice britannique Suranne Jones, remarquée dans Coronation Street et surtout dans Doctor Foster.

Anne Lister, première lesbienne “moderne”

Anne Lister est née en 1791 à Halifax, qui est aussi la ville d’origine de la créatrice de la série, Sally Wainwright. Gentleman Jack est le nom que les habitants d’Halifax donnaient à Anne Lister, alors que ses amantes l’appelaient Fred… En Grande-Bretagne, on connaît principalement cette propriétaire terrienne pour sa forte personnalité et sa notoriété en tant que première lesbienne “moderne”, dans le sens où elle ne s’en cachait pas et revendiquait même le statut et la possibilité pour deux femmes de vivre en couple.

En France, on connaît plutôt Anne Lister pour avoir été la première à réaliser officiellement l’ascension du plus haut sommet des Pyrénées françaises qui culmine à une altitude de 3’298 mètre, la pique Longue, dans un massif dont le nom tombe lui aussi à pic: le massif de Vignemale. Le 6 août 1838, en compagnie de ses guides, Anne Lister maîtrise le sommet, dans une compétition avec Napoléon Joseph Nay, Prince de la Moskova et fils du Maréchal, qu’elle devance de trois jours!

De la pique Longue au biopic

Gentleman Jack revêt la forme d’un biopic historique. Dans le Yorkshire du début du XIXe siècle, Anne Lister, curieuse insatiable, qui a beaucoup voyagé, revient à Shibden Hall, la propriété rurale qu’elle a héritée de son oncle. Une arrivée mouvementée, à brides abattues, dans une diligence bondée dont elle tient les rênes, parce que le cocher s’est cassé le bras après être tombé de son poste. Cette seule scène suffit à imposer la figure publique d’Anne Lister, une femme habillée en homme dont la démarche décidée dégage une puissance sans égale et dont on va très vite découvrir la dureté et la rigueur en affaires.

Gentleman Jack - Les séries de Pascal Bernheim

Sophie Rundle (Ann Walker) et Suranne Jones (Anne Lister / Gentleman Jack) [HBO / RTS]

Toujours dans le premier épisode, on découvre aussi qu’Anne Lister est rongée par le chagrin de sa rupture récente d’avec Vere Hobart qui l’a abandonnée pour se marier. Dans le même temps, on suit l’arrivée à Halifax d’une autre femme, proche de la trentaine. Diaphane au visage d’adolescente, timide et peu sûre d’elle, elle est écrasée par une tante omniprésente et vulgaire, Ann Walker, riche héritière interprétée très subtilement par Sophie Rundle (découverte dans le rôle de Ada Shelby dans “Peaky Blinders”). Cette narration parallèle ne laisse pas de doute quant à leur rencontre à venir et dessine le feu d’artifice émotionnel qu’elle provoquera.

Journal intime

A dessein, Sally Wainwright propose une entrée en matière extrêmement classique qui va petit à petit se transformer, au fur et à mesure que l’on découvre la personnalité, les engagements et les choix d’Anne Lister. Bien qu’extrêmement conservatrice quant à son rang dans la société et son rapport au “petit peuple”, elle agit néanmoins avec toute la force de son pouvoir pour faire exploser les convenances.

On est en quelque sorte confronté à un personnage à deux faces, qui inspire l’empathie autant que l’antipathie. La série ne se pose donc pas comme une hagiographie béate et unilatérale d’un personnage hors du commun.

Il y a par exemple un parti pris très séduisant, celui de faire s’adresser Anne Lister aux spectatrices et aux spectateurs directement, face caméra, à propos de sa relation avec Ann Walker, afin de nous confier ce qu’elle ressent, ce qu’elle espère, parfois d’un simple regard très éloquent. Ces adresses fonctionnent comme la métaphore du journal qu’a tenu Anne Lister pendant trente-quatre ans. Vingt-quatre épais volumes remplis d’une écriture minuscule, dont une petite partie en langage chiffré qui n’était donc pas destinée à la publication, mais dont les vertus historiques et sociales en font une somme incontournable, sur laquelle Sally Wainwright s’est fondée pour construire “Gentleman Jack”.

Voir la bande-annonce (VOSTFR)

Sur RTS Un (VF et VOSTFR) les lundis vers 22h25 et sur PlayRTS après diffusion, épisodes disponibles jusqu’au 26 octobre 2020.
Accord parental recommandé.

Sur OCS (VF et VOSTFR) via blue ou Canal+.
Déconseillé aux moins de 12 ans.

Les bonus

Littérature - Geneviève Bridel

Chinelo Okparanta
Sous les branches de l’udala
Editions 10/18

Chinelo Okparanta - Sous les branches de l'udala - 10/18

L’histoire de l’amour défendu entre deux adolescentes sur fond de guerre civile nigériane. Un roman d’apprentissage impressionnant qui dénonce la violence et la barbarie par-delà les époques et les frontières.

Ijeoma a onze ans lorsque la guerre civile éclate au cœur de la jeune république du Nigeria. Son père est mort et sa mère, aussi abattue qu’impuissante, lui demande de partir quelques temps et d’aller vivre à Nweni, un village voisin. Hébergée par un professeur de grammaire et son épouse, Ijeoma rencontre Amina, une jeune orpheline. Et les fillettes tombent amoureuses. Tout simplement.
Mais au Biafra, dans les années 1970, l’homosexualité est un crime.
Commence alors le long et douloureux combat d’Ijeoma pour réussir à vivre ses désirs et, surtout, à comprendre qui elle est : il y aura la haine de soi, les efforts pour faire ce que l’on attend d’elle, et, enfin, la puissance des sentiments, envers et contre tous…

Philosophie - Anne Laure Gannac

Daniel Borrillo, Caroline Mecary
L’homophobie
Editions PUF – Collection Que sais-je

L’homophobie est l’attitude d’hostilité à l’égard des homosexuels, hommes ou femmes. Quelles sont ses origines ? Quels sont ses rapports avec les autres formes de stigmatisation et de discrimination ? Comment, et à partir de quels discours, la suprématie hétérosexuelle, ainsi que la dévalorisation corrélative de l’homosexualité, ont-elle été construites ? Existe-t-il une personnalité homophobe ? Et par quels moyens peut-on lutter contre cette forme de violence ?

Sylvie Steinberg
Une histoire des sexualités
Editions PUF

Accessible et riche, inventive sur le plan de la recherche documentaire comme dans la réflexion, cette histoire des sexualités propose de retracer les grandes étapes et les évolutions des normes et des mentalités. « Fait social total », la sexualité est à l’intersection de plusieurs types d’approches historiques : sociales, anthropologiques, culturelles, linguistiques. Sous les projecteurs croisés de la démographie historique, de l’anthropologie culturelle et de l’histoire sociale, son histoire pose l’hypothèse que les comportements humains qui lui sont liés – fantasmes et représentations, pratiques érotiques et procréatives – sont eux aussi des objets qu’il s’agit d’étudier sans les détacher des autres pans de l’histoire humaine. Mais on ne saurait aujourd’hui s’intéresser à la sexualité sans y faire également entrer des outils forgés dans le champ de l’histoire du genre. Plus que jamais, la sexualité est devenue un domaine incontournable de l’histoire.

Première publication le 18 mai 2019